Département des archives nouvelles
Françoise
Provini-Sigoillot
|
|
Extraits
Département
des archives - Clown
"En vérité j'ai vingt ans et cent
ans. Et Raja est partie depuis presque trois ans.
Et je ne peux cesser de penser à nous toutes.
Nous toutes, c'était Marion, qui voulait être comédienne, qui
jouait de sa voix, de son corps ou de ses cheveux, et que sa mère,
grande jument rousse et rosse, giflait à tout propos, pour un mot
trop osé, pour une impertinence ou un retard ; c'était Céline aux
invraisemblables coiffures, crêtées, crêpées, multicolores, aux
langueurs dépressives, aux folies de rires ou de larmes, au
maquillage rouge et noir ; c'était Raja, brune et rebelle, qui vivait
en fraude au lycée, loin de ses frères, loin de son père, le
foulard roulé dans sa poche, qu'elle serrait cependant sur son front,
chaque matin et chaque soir, la rage au coeur ; et c'était moi, qui
me trouvais laide et sans charme, plate, tout en dents et en os, sans
pitié cependant pour les rondes, qui aimait le pouvoir, qui rêvait
d'amour et de gloire.
Dans ce lycée banal et nonchalant, cerné par la cité, nous nous
sentions des princesses ou des stars, des fleurs sauvages dans le
crassier des foules. Nous avancions dans notre vie à pas légers et
capricieux de chattes. Les autres n'existaient que pour nous admirer.
Nous avions, il est vrai, le verbe aisé, l'esprit raide, le désir
surtout de briller. Ce qui cette année-là, n'était guère
difficile, tant la classe, aux dires des professeurs, était faible,
lente et passive."
Département des
archives - Peau d'âme Le soleil change lentement de
fenêtre. Elle sait très bien attendre, c'est un don qu'on s'invente
quand on est fille unique, avec une mère qui rentre tard , sept
heures, sept heures et demie, parfois huit heures. Le temps, c'est
facile à plier, à couder, à raccourcir, on en fait une pelote qui
durcit comme une balle, qui rebondit et rebondit, toujours à la même
place. Elle fait planer l'attente avec bien peu de choses, une tache
au plafond qui rampe et se transforme, une fissure dans le mur, droite
ou tordue comme un sourire sans chat, des mouches qui galopent sur la
table...
|
|
|